Louis XIV et les collections d'Antiques

Par Christophe Piccinelli-Dassaud

La fascination pour l’Antiquité est l’un des traits essentiels de la pensée européenne du XVIIe siècle, à laquelle n’échappe évidemment pas Louis XIV, instruit dans la culture classique comme chacun de ses sujets ou des souverains qui lui sont contemporains. Mais cette Antiquité n’est certainement pas celle qui nous est aujourd’hui révélée par l’archéologie, cette science qui en scrute les témoignages les plus directs ; Héritiers des humanistes de la Renaissance, les « Antiquaires » du Grand siècle ne fondent leur érudition que sur l’analyse des textes grecs ou latins parvenus jusqu’à eux et la concordance de ces sources avec les monuments et les œuvres d’art alors connus ! L’Antique, plus que l’Antiquité, est donc vu à travers ce prisme, ce qui ne manque évidemment pas de distordre la réalité archéologique, mais permet en revanche une extraordinaire relecture, une réappropriation du Passé. Ainsi, peu importe l’authenticité de telle sculpture, les restaurations modernes qui la complète, pourvu que son iconographie permette un enseignement savant ou étaye un propos politique.

Si la Couronne n’offre guère d’autre chef-d’œuvre antique à opposer aux grandes collections romaines que la Diane chasseresse offerte par le pape Paul IV à Henri II un siècle plus tôt, c’est en 1665 que Louis XIV cherche à rassembler un ensemble de sculptures antiques digne du roi de France, en acquérant le meilleur de la collection du cardinal Mazarin disparu quatre ans plus tôt, en saisissant celles qui ornait la demeure de Fouquet à Saint-Mandé, en acceptant les legs de son oncle Gaston d’Orléans comme le présent d’une statue par le cardinal Orsini.

Ces quatre acquisitions, la même année, marquent le début d’une véritable captation des antiquités alors disponibles, d’abord concentrées aux Tuileries mais rapidement destinées à satisfaire les besoins du chantier continu de Versailles, puis de ses satellites Marly ou Trianon : les comptes des Bâtiments du Roi révèlent l’acquisition de 13 bustes en 1670, de 14 en 1672 et de 157 marbres l’année suivante ; 303 caisses emplies de marbres quittent Rome en 1679, 177 statues en 1682 et 14 un an plus tard ; 48 statues, 36 bustes et 13 vases en 1684 ! Les chiffres diminuent peu à peu avec l’achèvement du décor de Versailles, mais aussi d’une opinion romaine de plus en plus hostile à ce pillage de son patrimoine. En dépit de cette opposition, l’achat en 1685 auprès du prince Savelli du Cincinnatus et du Germanicus qui se trouvaient dans sa villa Montalto à Rome démontre la toute-puissance de Louis XIV sur le souverain pontife lui-même !

En 1680, trois statues sont acheminées depuis le comptoir de Smyrne placé sous la protection du roi de France, lui ouvrant d’autres sources d’approvisionnement que la péninsule italienne. De même, les plus belles sculptures découvertes dans le royaume même sont, elles aussi, destinées à rejoindre Versailles : en 1683 un buste de Junon et un torse colossal de Jupiter quittent le palais Granvelle à Besançon ; un Sénateur est envoyé l’année suivante depuis Langres ; en 1685, le conseil de la ville d’Arles espère rentrer dans les bonnes grâces du roi en lui offrant une statue que les restaurations de Girardon achèveront d’identifier comme une Vénus.

Si la grande majorité de ces antiques rejoignent les bosquets ou les niches de la Cour de marbre, beaucoup restent en magasins lorsque leur état n’est pas jugé acceptable. Les plus exceptionnelles sculptures sont rassemblées dans le Grand appartement : elles y témoignent de la puissance du souverain à l’intérieur de son royaume, dans les territoires qu’il contrôle ou de la place qu’occupe la France dans le concert des cours diplomatiques. Lorsqu’en 1712 le prince Albani offrira le Centaure marin enlevant un Silène au roi alors au crépuscule de son règne, Louis XIV fera placer le groupe dans la fontaine sur le palier de l’escalier des Ambassadeurs : Une dernière fois, l’Antique proclamera la gloire du Roi-Soleil au cœur même du décor somptueux de cet espace, le premier que découvrait chaque visiteur ébloui.

Article rédigé par Christophe Piccinelli-Dassaud, Responsable de la régie des œuvres du département des antiquités grecques, étrusques et romaines du Musée du Louvre.